Chapitre 18
Spade fit monter Hykso et Kratas dans la remorque qui contenait des fers et des menottes fixés à une paroi renforcée.
Bones me prit par le bras.
— Allons-y.
Bones sauta à l’arrière du second camion et me souleva. Mais en franchissant les caisses factices, j’écarquillai les yeux. L’intérieur était si différent de celui de l’autre remorque que je restai sans voix.
Deux canapés étaient vissés au sol, ainsi que deux fauteuils et un réfrigérateur. Il y avait même un tapis fixé par terre.
— Mon Dieu, soufflai-je. C’est un vrai camping-car de luxe !
— C’est ici que dormiront mes hommes lorsqu’ils ne seront pas avec Hykso et Kratas, répondit Bones d’un ton vif. Il n’y a pas de raison qu’ils s’entassent tous dans l’autre camion. Nous ne faisons que l’emprunter pour nous rendre à l’aéroport.
Les essieux de la remorque émirent un sifflement alors que le chauffeur enclenchait la première. Il y eut un à-coup, puis des secousses intermittentes lorsque le camion commença à rouler.
Bones croisa les bras et posa son regard sur moi. Je gigotai sur place, très mai à l’aise à cause du silence pesant qui s’installait.
— Tu sais, je n’avais aucune intention de pousser les choses aussi loin avec Tate, commençai-je. Je voulais juste qu’on se rapproche d’Hykso, et aussi distraire nos ravisseurs avant de lancer mes couteaux…
— Ce que tu as fait brillamment, mon chou. Les lames se sont plantées pile dans les yeux de Kratas. Il t’a tiré dessus en aveugle.
Le ton de sa voix me fit grimacer.
— Je suis désolée, dis-je, et il savait que je ne parlais pas des yeux de l’autre vampire.
Bones commença à faire les cent pas dans la petite pièce. Je n’avais pas besoin d’être dotée de sens surnaturels pour deviner la colère qui bouillait en lui, mais je ne savais pas si c’était à cause de moi, de Tate, ou de la guerre qui nous avait menés jusqu’à l’intérieur de la limousine.
— On devrait en parler, dis-je en me préparant aux accusations de toute sorte dont il allait peut-être m’abreuver. Après tout, j’étais seulement censée embrasser Tate au cours de la soirée. Pas me frotter à lui pendant plus de dix minutes, vêtue seulement d’un pull et d’un string. Si ça peut te rassurer, moi aussi je serais verte de rage dans la situation inverse.
Bones se retourna.
— Je doute que le fait d’en discuter soit d’une quelconque utilité. Tu as fait ce que tu jugeais nécessaire. Tes méthodes me déplaisent au plus haut point, mais elles donnent d’indiscutables résultats.
Il avait adopté une allure mesurée, mais sa lenteur n’enlevait rien à ses airs de prédateur. Il s’arrêta à quelques centimètres de moi et fit glisser sa main le long de la manche de mon pull. Je ne pus m’empêcher de tressaillir. Il y avait quelque chose de menaçant dans sa façon de me toucher.
— Où t’a-t-il embrassée ? Touchée ?
Je le regardai dans les yeux.
— Cela ne voulait rien dire, Bones. Cela n’avait rien à voir avec ce que je ressens pour toi.
— Ah.
La voix de Bones était douce, mais ses yeux étaient verts. Était-ce la colère ou autre chose ? Je n’en avais aucune idée.
Il se pencha plus près et frôla mon cou avec sa bouche. Je ne pus m’empêcher de frissonner en me demandant ce qu’il s’apprêtait à faire.
— Il t’a embrassée ici, dit-il dans un grognement sourd. Je soupçonne qu’il t’a touchée là (il effleura mes seins à travers mon chemisier) et je sens ses mains là (il s’agenouilla et passa la main le long de ma cuisse).
Je ne bougeai pas, me forçant à rester immobile, comme une proie essayant de ne pas attirer l’attention du prédateur.
— J’ai failli le tuer ce soir.
Bones avait soufflé ces mots si près de ma peau que j’en eus la chair de poule. Je ne dis rien car je sentais qu’il était sur le point de perdre le contrôle dont il avait fait preuve pour se retenir de massacrer Tate.
— Je n’avais jamais éprouvé de la jalousie avant de te rencontrer, continua Bones sur le même ton, à la fois doux et menaçant. Ça brûle, ma belle. Comme si de l’argent en fusion coulait dans mes veines. Certains soirs, lorsque je t’observe en mission avec d’autres hommes, j’ai l’impression que je vais devenir fou.
Il continuait à promener ses mains sur mes jambes avec une sensualité aussi légère qu’effrayante qui me donnait envie de reculer… et d’avancer en même temps. Mon corps tout entier semblait retenir son souffle. Malgré son comportement apparemment calme, quelque chose bouillait en Bones, quelque chose qui allait exploser d’une minute à l’autre, je le sentais.
— On faisait semblant, répétai-je.
— Oh, je le sais, répondit Bones du tac au tac. (Il posa ses yeux vert éclatant sur les miens.) Tate ne serait plus en vie si ça n’avait pas été le cas. Je sais que tu ne l’as fait que pour arriver à Hykso, Chaton. (Sa voix se fit plus profonde. Plus dure.) Mais ne laisse plus jamais personne agir de la sorte avec toi, pour quelque raison que ce soit.
Puis, à ma grande surprise, Bones baissa mon string.
— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je, le souffle coupé.
— Qu’est-ce que j’ai l’air de faire ? marmonna-t-il en m’écartant les jambes.
Je m’étais attendue à beaucoup de choses, mais pas à cela.
— Mais tu es… euh… toujours en colère contre moi ?
— Tu l’as dit, répondit-il d’une voix étouffée alors qu’un profond coup de langue me faisait vaciller sur mes jambes.
Je m’apprêtais à dire que c’était là une manière déloyale de combattre lorsque Bones me saisit par la taille et me souleva. Je sentis le rouge me monter aux joues quand je me retrouvai les jambes autour de ses épaules, la tête touchant presque le plafond.
— Bones, parvins-je à articuler, arrête. Laisse-moi descendre.
Sans pitié, il continuait à me taquiner avec sa langue.
— Non. Tu es à moi, et je vais te prendre.
Je ne voulais pas réagir à ses caresses. Cela me paraissait… mal alors qu’il était toujours en colère, mais si c’était un combat d’un genre nouveau, j’étais en train de le perdre. Un petit cri m’échappa lorsque Bones frotta ses canines contre mon clitoris sans le percer, y appliquant simplement une petite pression. C’était une sensation incroyable, qui m’incitait à me plaquer contre lui pour qu’il recommence. Encore et encore. Sans s’arrêter. Je me mis à haleter sous l’extase. Tout à coup, la bonne vieille méthode qui consistait à discuter pour régler les problèmes m’apparaissait très surfaite ; Bones savait ce que j’aimais et je ne pouvais pas résister au flot de sensations qui me submergeait.
— Dis-moi que tu me veux, grogna-t-il.
— Bon Dieu, oui, parvins-je à répondre en désirant intensément le sentir en moi.
— Dis-le.
Il avait articulé cette exigence tout en continuant à me tourmenter avec sa langue. J’enfonçai mes doigts dans ses cheveux et tirai sa tête en arrière.
— Je te veux, fis-je d’une voix âpre. Tout de suite. Ne songe même pas à dire non.
Je sentis son rire aigre me chatouiller.
— J’en ai pas l’intention.
Bones me fit descendre, en faisant remonter sa bouche sur le haut de mon corps, jusqu’à ce que mes pieds touchent terre. Dès que je sentis le contact du sol, je le poussai en arrière vers le canapé. Il s’y affala en m’entraînant dans sa chute. Je me mis à genoux, j’arrachai son pantalon, puis j’enroulai ma bouche autour de son sexe.
Sa chair était fraîche, comme du marbre qui aurait pris vie. Je le pris jusqu’à la garde, puis commençai à aspirer profondément et vigoureusement.
Bones gémit et son dos se cambra.
— Plus fort.
J’augmentai la pression. Il plongea ses mains dans mes cheveux, et serra les poings lorsque j’accélérai encore la cadence.
— Bon Dieu, qu’est-ce que c’est bon, dit-il d’une voix étouffée. Je ne peux plus attendre.
Il me souleva sans prêter attention à mes protestations et m’empala sur son sexe. Il s’enfonça si profondément en moi qu’il me fit presque mal. Les cahots du camion accentuaient la vigueur de ses coups de reins affamés et rapides.
Je rejetai la tête en arrière et je bougeai à son rythme, submergée par un flot d’intenses sensations. Bones se redressa et prit un de mes tétons dans sa bouche. Il l’aspira jusqu’à le rendre presque insensible, puis il passa à l’autre pour le gratifier du même traitement à la fois doux et violent.
J’enfonçai mes ongles dans ses flancs. Il fit glisser sa bouche jusqu’à mon cou alors qu’il me serrait plus fort contre lui. Je poussai un cri en sentant ses canines frôler ma peau sans la transpercer.
Je le maintins plus près de ma gorge.
— Mords-moi.
Il se contenta de me lécher.
— Non. Tu as perdu trop de sang ce soir.
Je m’en fichais. Je voulais que mon sang coule en lui. C’était un besoin presque aussi fort que le désespoir que générait en moi chaque nouveau coup de reins.
— Fais-le, gémis-je. Montre-moi que je suis à toi.
Il resserra son étreinte et accéléra encore la cadence.
— Tu es à moi, articula-t-il en plaquant sa bouche sur ma veine palpitante.
J’eus à peine le temps de sourire pour fêter ma victoire. Je sentis ses canines s’enfoncer dans mon cou, et une étouffante bouffée de passion m’envahit et m’étourdit, mais elle n’était pas due à la seule gorgée que Bones avait prise avant de refermer les trous laissés par sa morsure.
Il m’embrassa, et ses lèvres avaient le goût métallique de mon sang. Je m’agrippai à lui tandis qu’une intensité grandissante semblait faire bouillir mon corps tout entier.
— À ton tour, Chaton. (Le désir rendait sa voix rauque.) Montre-moi que je suis à toi.
Je le mordis au cou. Bones enfonça sa main dans mes cheveux et m’attira plus encore contre lui, m’incitant à mordre plus fort, jusqu’à ce que son sang emplisse ma bouche.
J’avalai. Bones tira ma tête en arrière pour m’embrasser de nouveau, nos bouches imprégnées du goût du sexe et du sang de l’autre. Ce que nous étions en train de faire avait quelque chose de primaire, entre sa colère et le besoin impérieux que j’avais de lui prouver que personne d’autre ne comptait.
— N’arrête pas. N’arrête pas.
Peut-être l’avais-je dit à haute voix. Ou peut-être pas. En tout cas, Bones me fit basculer pour se retrouver au-dessus de moi et se mit à bouger avec une intensité renouvelée.
— Je ne peux pas m’arrêter.
C’était la meilleure dispute de notre vie.
Le phare de la tour de contrôle balaya l’obscurité de ses rayons circulaires. Il venait de neiger. J’étais gelée malgré mes deux pantalons, mes deux pulls et ma veste. Bones ne portait rien d’autre par-dessus ses vêtements que sa veste en cuir noir ; il l’avait certainement revêtue plus par habitude que pour lutter contre le froid.
Le phare s’éteignit. C’était le signal que nous attendions.
Dans le noir, Bones fit le tour de la base tel un véritable tourbillon. Il volait trop vite pour être pris pour cible par une arme de gros calibre, et il n’avait rien à craindre des armes plus petites. Il me tenait serrée dans ses bras, et je fermais les yeux à chaque descente ou virage brusque.
Nous aurions pu nous contenter de venir en voiture, mais Bones avait préféré agir avec la plus extrême prudence. Après tout, l’un des hommes de Patra aurait pu nous prendre en filature depuis la carcasse de l’avion de Hykso et nous attendre à côté du QG armé d’un bazooka, comme l’avait fait Max avant lui.
Les gardes sur le toit parvinrent à contenir leur surprise lorsque Bones surgit de la nuit, atterrit et avança vers eux ; d’un pas décidé. Il fut suivi de Ian, qui portait Tate. Puis arrivèrent Tick-Tock et Zéro.
Don s’était clairement opposé à ce que Ian soit mis au courant de l’emplacement du QG, mais Bones était passé outre à ses protestations. Il ne pensait pas que Ian trahirait le secret, ce dernier nous avait donc accompagnés. Il lâcha Tate dès qu’il atterrit sur le toit et regarda autour de lui avec une pointe de curiosité. Il y avait quelque chose de franchement ironique à le voir ici, alors qu’un an à peine auparavant Don m’avait envoyée le capturer (et même le tuer s’il se rebellait). Comme les choses avaient changé depuis.
Nous entrâmes tous les six. Personne ne s’était fait tirer dessus et rien n’avait explosé. Jusqu’ici, tout allait bien, à mon humble avis tout du moins, même si, pour être honnête, je ne savais pas pourquoi nous étions là. Après notre… euh… dispute dans la remorque, Bones avait dit qu’il fallait qu’il voie Don. Je lui avais bien entendu demandé pourquoi, mais il avait une méthode très efficace pour détourner la conversation. Puis il y avait eu cette scène fascinante à l’aérodrome, où Bones avait hypnotisé un pilote qui ne se doutait de rien pour le convaincre de nous emmener jusque dans le Tennessee. Nous étions arrivés à bon port à présent, et je ne savais toujours pas de quoi Bones voulait s’entretenir avec mon oncle. Mais j’étais sûre que je n’allais pas tarder à le savoir.
J’avais évité de regarder Tate depuis que nous les avions retrouvés, lui, Ian, Tick-Tock et Zéro à quelques kilomètres du QG. Il y avait désormais une énorme gêne entre nous. De son côté, Bones se comportait comme à son habitude, même s’il était capable de sentir et d’entendre mon inconfort intérieur. Je fus donc prise de court lorsque Bones annonça qu’il me retrouverait plus tard dans le bureau de Don, après avoir dit quelques mots à Juan.
— D’accord, parvins-je à répondre, ne sachant si je devais le suivre pour ne pas me retrouver avec Tate, ou si au contraire je devais rester et ne pas céder à la lâcheté de la première option.
Je choisis de rester. Décidément, j’étais toujours aussi hostile aux solutions de facilité.
Ian jeta un regard lourd de sens à Tate, puis sourit de toutes ses dents.
— Je t’accompagne, Crispin, dit-il.
Je pris la direction du bureau de Don. Sans surprise, Tate me suivit. J’entendis Bones émettre un ricanement sardonique juste avant que les portes de l’ascenseur se referment. Visiblement, il n’était pas surpris par les décisions de Tate, lui non plus.
Tick-Tock et Zéro nous emboîtèrent le pas. Je les regardai, une fois de plus frappée de leurs différences physiques. Difficile pour deux vampires d’être autant à l’opposé l’un de l’autre que ces deux-là, entre Zéro le quasi-albinos et Tick-Tock le vampire d’ébène.
— Où est-ce que vous avez rencontré Bones ? demandai-je pour rompre le silence avant que Tate le fasse.
— En Pologne, répondit Zéro.
— En Australie, dit Tick-Tock.
Ces deux pays m’étaient inconnus. La remarque de Tate, selon laquelle je ne connaissais pas vraiment Bones après avoir passé seulement un an avec lui sur les deux cent cinquante qu’il avait vécu me revint à l’esprit. Mais je la repoussai. Je connais l’essentiel, me répétai-je avec détermination.
— Alors, comment ça va entre toi et le Gardien de la Crypte ? demanda Tate d’un ton nonchalant.
— Très bien, répondis-je d’une voix sèche.
Tate cessa de marcher et me saisit le bras.
— Combien de temps est-ce que tu vas faire comme si rien ne s’était passé, Cat ?
— Non ! dis-je à Tick-Tock, qui avait déjà sorti son couteau de sa ceinture. Reculez, les gars. Je maîtrise la situation.
Zéro rentra ses canines, et, après un dernier regard dur, Tick-Tock rengaina son couteau. Je me tournai ensuite vers Tate en le regardant droit dans les yeux.
— C’était une mission, Tate. Les choses sont allées plus loin qu’elles auraient dû, mais nous avons eu nos cibles et c’est tout ce qui compte. Maintenant, avant que tu bousilles définitivement notre amitié, pourrais-tu s’il te plaît cesser de surestimer ce qui s’est passé ?
— Je sais ce que j’ai ressenti, dit Tate avec rudesse. Tu peux prétendre ce que tu veux, Cat, mais, pendant quelques minutes, tu n’as pas fait semblant, et à cet instant-là j’ai été pour toi plus qu’un ami.
Je sentis alors une vague de puissance envahir l’atmosphère, avant d’entendre, une fraction de seconde plus tard, le rire moqueur de Bones.
— Exactement ce que je pensais, ricana-t-il depuis l’autre côté du hall. Je savais que tu ne tiendrais pas plus de deux minutes avant de dire un truc de ce genre, mais tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude si tu crois pouvoir te dresser entre ma femme et moi.
Tate croisa les bras.
— C’est déjà fait.
Bones approcha. L’air se mit à crépiter. Ian s’appuya contre le mur du couloir et sourit, comme s’il profitait du spectacle. Zéro et Tick-Tock s’écartèrent de la route de Bones si bien qu’il ne restait plus que moi entre lui et Tate.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? demandai-je à voix basse.
Bones haussa un sourcil.
— Rien, mon chou. Pourquoi ?
Parce que tu as l’air d’avoir envie de jouer au football avec la tête de Tate, lui dis-je. Et il n’est pas question que je te laisse faire, même s’il se comporte comme un imbécile.
Mon oncle sortit de son bureau, regarda les vampires alignés dans le hall et la posture provocante de Tate, puis il toussa.
— Cat, Bones, heureux de voir que vous êtes arrivés sains et saufs. Voulez-vous entrer dans mon bureau ? J’allais justement ouvrir une bouteille de whisky.
Je ne me rappelais plus la dernière fois où j’avais vu Don boire, mais j’étais heureuse que son apparition ait dissipé la tension. Bones sourit.
— Un petit verre serait le bienvenu, vieille branche.
J’entrelaçai mes doigts avec ceux de Bones alors que nous entrions. C’était aussi bien, car je manquai de trébucher en l’entendant ajouter à l’intention de Tate :
— Toi aussi, mon pote.
Nous pénétrâmes tous les trois dans le bureau de Don. Je m’assis dans le canapé et Bones s’installa à côté de moi. Tate resta debout, raide et têtu.
Don nous regarda les uns après les autres, puis soupira.
— Quelque chose me dit que je viens d’interrompre une scène qui aurait pu mal tourner.
— Aucune importance, ils ont terminé, dis-je à Don en jetant à Tate un regard méchant pour lui faire comprendre qu’il avait intérêt à s’en tenir là. C’étaient juste deux vampires qui jouaient à savoir lequel avait la plus grosse, mais à présent c’est terminé.
— Tu as tout à fait raison, ma belle.
Bones se pencha pour déposer un petit baiser sur ma joue. Puis il lâcha sa bombe.
— Je peux désormais lire dans les pensées humaines, Don. Je connais donc le dilemme qui vous ronge, mais vous avez la solution sous les yeux. Vous ne vous êtes jamais servi de vos atouts pour gagner de l’argent, et c’est tout à votre honneur, mais à situation désespérée, mesures désespérées, vous ne croyez pas ?
— Quoi ? m’étonnai-je.
Non seulement j’étais intriguée par sa dernière phrase, mais je n’en revenais pas qu’il ait parlé de ses nouveaux pouvoirs à Don.
Mon oncle ne broncha pas.
— Je refuse d’exposer le public au Brams. Le sang de vampire de synthèse en est encore au stade expérimental en tant que médicament. Entre de mauvaises mains, il pourrait transformer la population en tueurs surhumains.
— Mais de quoi est-ce que vous parlez ? insistai-je.
— Don est coincé, répondit Bones. Le gouvernement fait de grosses coupes dans le budget, et son agence risque de fermer d’ici à un an ou deux. Il le gardait pour lui pour ne pas plomber le moral des troupes.
Je restai bouche bée. À en juger par l’expression de Don, je compris que Bones avait dit vrai.
— Comment avez-vous pu ne rien nous dire ? fis-je, incrédule.
Bones se tapota le menton et regarda Don d’un air calculateur.
— C’est une bonne chose que vous vous soyez rendu compte du potentiel de destruction du Brams, mais vous n’avez pas besoin de vous en préoccuper. Quelle est la grande terreur des hommes politiques ces dernières années ? Le terrorisme. Ça leur fiche une trouille bleue. Que pouvez-vous offrir que vous êtes le seul à posséder ? Un enquêteur capable d’obtenir à coup sûr toutes les informations, les noms, les lieux, les intentions, sans que le gouvernement ait à sortir l’artillerie lourde pour éliminer la menace.
Bones se tut pour laisser le temps à Don de réfléchir à ses paroles. Moi, je n’arrivais toujours pas à croire que Don nous ait caché à tous une chose aussi importante.
— Vous vous portez volontaire ? demanda Don sans cacher son scepticisme.
Bones rit sans entrain.
— Pas moi. Tate. Envoyez-le s’occuper des prisonniers les plus bornés, demandez-lui de les hypnotiser, et vous n’aurez plus qu’à vendre les informations au plus offrant. Vos finances reviendront à flot en moins de deux mois, sans compter que vous aurez rendu un service inestimable à votre pays. Et, cerise sur le gâteau, vous n’aurez pas à vous soucier de la convention de Genève, puisque ni le prisonnier ni ses gardiens ne se souviendront de ce qui s’est passé.
— Espèce d’enfoiré ! explosa Tate en avançant sur Bones, furieux.
— Asseyez-vous, soldat ! cria Don d’un ton que je ne lui connaissais pas.
Tate s’arrêta net et me regarda.
— S’il fait ça, c’est uniquement pour m’éloigner de Cat. Il n’en a rien à foutre, ni de notre organisation ni de notre pays ! Tout ce qui l’intéresse, c’est elle !
— Ge n’est pas le sujet, il me semble, rétorqua Bones d’un ton glacial. Et toi, est-ce que tu ne te fiches pas de ton organisation, de ton pays et de tout ce qui ne la concerne pas ? Je crois t’avoir entendu dire que l’amour que tu lui portes n’interférerait jamais avec ton travail. C’est le moment de le prouver.
Je compris alors que Bones avait manigancé ce plan depuis le moment où il avait arraché le toit de la limousine. Le proverbe selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid prenait tout son sens avec lui.
Don se leva.
— Tate ? Votre réponse ?
Tate lança à Bones un regard chargé de haine.
— Si vous m’en donnez l’ordre, Don, je m’incline.
Don soupira.
— Vous êtes la personne la plus indiquée pour cette mission que je connaisse. Vous me prouvez que j’avais tort de croire qu’un homme transformé en vampire ne pouvait que perdre son intégrité. (Don tourna les yeux vers Bones.) J’aurai besoin de quelqu’un pour le remplacer. Cat est trop souvent absente, et Dave ne suffit pas.
Bones ne broncha pas.
— Laissez-moi Tate encore une semaine, ensuite vous pourrez en disposer et je vous fournirai un remplaçant.
Don se tourna de nouveau vers moi.
— Vous pouvez y aller, Cat. Je m’occuperai de tout.
Même si c’était dans son intérêt, j’étais inquiète pour Tate. Je savais ce que l’on ressentait quand on était forcé d’abandonner la personne que l’on aime. J’espérais que cet éloignement serait bénéfique pour lui et qu’il tomberait amoureux de quelqu’un d’autre. Le fait de ne plus me voir au quotidien lui ouvrirait peut-être les yeux et lui permettrait de se rendre compte que le monde regorgeait de femmes intéressantes. Je ne voulais pas qu’il continue à se morfondre à mes côtés !
— Sois maudit, grogna Tate à l’intention de Bones.
— J’espère… commençai-je avant de m’interrompre, incapable de trouver les paroles adéquates. (Puis je marmonnai :) Fais attention à toi, Tate.
Je sortis du bureau, suivie de Bones.